Interview d’une personne hébergée par l’association Avec Toits

Avec Toits est une association qui héberge des personnes exilées exclues des dispositifs existants et milite pour le respect de leurs droits.
Houssainatou Sow étudiante en licence 3 Info-Com à Paul Valéry, a réalisé une interview dans le cadre de son stage pour l’association Avec Toits.
Elle a interrogé Charles Kiluba*, hébergé par l’association et membre de son Conseil d’Administration.
Bonne lecture !
Bonjour monsieur Kiluba !

Kiluba : Oui, bonjour madame !

Pour commencer, dites-moi qui est Charles Kiluba ?

Charles Kiluba, est un artiste chanteur, compositeur, cinéaste, conteur amateur, poète qui a vu le jour en 1966 en République du Congo. Je suis père de quatre filles et je vis en France depuis 2017.

Comment êtes-vous arrivé en France ?

Je suis arrivé ici dans le cadre d’une mission.

Avec votre famille ?

Non, je suis seul.

Et aujourd’hui, vous y êtes avec votre femme, vos enfants ?

Non pour le moment je suis toujours seul et je me bats pour que mes enfants puissent me rejoindre mais ce n’est pas facile, ce sont des procédures qui prennent du temps. Et puis il faut d’abord que j’assure ma protection et que je dispose de certains atouts.

Qu’est-ce qui vous a poussé à rester en France ?

Vous savez, la France n’est pas un paradis, mais elle a aussi ses avantages. C’est un pays où certaines conditions de vie et certaines lois sont respectées et prises en compte.
En France, tu ne récoltes que ce que tu as semé : tu travailles une heure, on te paye une heure, tu travailles deux heures, on te paye deux heures.
Vous voyez ce que je veux dire ? Mais il y a une réalité que les gens ne comprennent pas, c’est que tu peux avoir des diplômes élevés mais tu ne parviens pas à trouver du boulot et donc tu finis chômeur sans rien faire, sans prouver de quoi tu es capable. On te reconnaît difficilement, si tu ne t’entoures pas des bonnes personnes.
J’étais venu pour repartir mais je me suis dit que si j’arrivais à me stabiliser et à me régulariser, je pouvais mettre mes compétences au service de la France, ce que j’ai en moi.
En France, si tu t’impliques et que tu t’intègres en faisant ce que tu sais faire, cela peut te propulser. C’est la raison pour laquelle je suis resté.

Quelles sont vos perceptions à propos de la vie en France ?

Déjà, ils ont établi des règles à suivre, il faut toujours les respecter. Ils attendent de nous qu’on soit exemplaire. Mais ce n’est pas facile quand on n’est pas régularisé et qu’on ne fait que des petits boulots au noir. Ça devient compliqué surtout quand tu n’as pas de but et d’objectif précis. Moi j’ai un objectif sur le plan artistique donc je fais l’effort pour me stabiliser afin de donner le meilleur de moi-même. Ce n’est pas facile de vivre comme ça mais si tu sais ce que tu veux, il y a des associations qui peuvent te prêter main forte. C’est ainsi qu’on s’en sort un peu, sinon c’est compliqué.

Où en sont vos procédures administratives ?

Les procédures sont en cours, tout est fait, tout est prêt, j’attends juste qu’on m’appelle pour le récépissé. Bref, la demande est en cours.

Parlez-nous de vos expériences vécues depuis votre installation en France.

Il y a de la discrimination. Il y a des gens qui ont des paroles blessantes, par exemple dans les transports, bref, du racisme. Quand tu t’assois à côté d’un blanc, il se déplace. Moi je vois tout ça, mais étant quelqu’un d’intègre et d’intelligent, je sais que c’est parfois un manque d’ouverture d’esprit.
Là c’est au niveau comportemental. Au niveau social, si tu n’as pas de boulot, c’est pas facile de survivre. Parfois tu n’as pas d’endroit où dormir, tu dors dans la rue en plein hiver. Je n’ai pas eu beaucoup de difficultés comparativement aux autres qui vivent dans des conditions un peu plus misérables.
Vraiment ce pays ne vaut pas la peine que l’on vienne sans aucun bagage intellectuel. En France, quand tu viens la tête vide, tu vas rencontrer des difficultés que tu n’avais jamais imaginées. Parce que tout est écrit et quand tu as des difficultés pour parler et écrire, c’est déjà un problème.

Parlons à présent de l’association Avec Toits. Quand et comment l’avez-vous rencontrée ? Comment vous a-t-elle aidé ?

Avec Toits, waouh ! c’est comme si tu étais à la recherche d’un pasteur et que tu rencontrais un ange, le pasteur va te parler de Dieu mais l’ange va te montrer Dieu.
À la base, c’est l’ami qui m’a fait venir à Montpellier, qui m’a parlé d’Avec Toits quand j’ai eu des difficultés de logement dans la ville dans laquelle j’étais.
Mon ami s’est renseigné auprès d’Avec Toits pour savoir s’ils pouvaient m’héberger.
Du coup, on a fait l’effort de chercher un logement nous-même, on l’a proposé à Avec Toits et c’est à partir de là que je suis rentré dans l’association.
J’ai finalement intégré mon appartement début septembre 2022 et aujourd’hui je suis membre du conseil d’administration.
Franchement, c’est une association que j’admire par la noblesse de sa vocation.

Est-ce que vous pouvez nous parler des choses qui vous ont marquées depuis que vous êtes membre d’Avec Toits ?

Le respect, la générosité de ses bénévoles, ce sont des personnes qui ne discriminent pas les autres, ils sont ouverts et compréhensifs.
Avec Toits m’a réveillé, m’a encouragé, et m’a dit : « regarde devant, rien n’est encore perdu ». Ce sont des moments spéciaux qui m’ont marqué.

Et en tant que personne hébergée, comment vivez-vous le fait de faire partie du conseil d’administration d’Avec Toits ? C’est une opportunité pour vous ?

C’est une opportunité pour moi d’être utile et d’apprendre.
Récemment, ils m’ont laissé animer le conseil d’administration, ce que je n’avais pas fait depuis longtemps. C’est avantageux pour moi car ça m’a permis de me développer sur le plan intellectuel.

À vous écouter, j’en déduis qu’Avec Toits met en avant l’humain n’est-ce pas ?

Avec Toits c’est pratique. Ils hébergent les gens, ils tiennent compte de la valeur des personnes rejetées. Quand les gens dorment dans la rue, il faut qu’ils trouvent un toit et quand les gens sont en difficulté, Avec Toits les accompagne. Avec Toits c’est comme une mère ou un père qui s’inquiète du bien-être de son enfant, donc oui elle met l’humain en avant.

Tout à l’heure, vous disiez qu’avant de rencontrer Avec Toits, vous aviez l’impression de dormir et que cette rencontre a réveillé vos potentialités. Quelle perspective vous offre-t-elle ?

Déjà, sur le plan culturel, Avec Toits m’ouvre des portes. Je pense que cette année, des activités culturelles et sportives sont prévues pour les personnes hébergées.
Il y aura du théâtre et de la musique. Je vais profiter de cette occasion pour faire connaître mes talents. Avec Toits devient pour moi une seconde famille.

Votre avenir, vous le voyez prometteur ?

Oui ! Il ne me promet pas le paradis mais il me promet un droit chemin. Je suis entouré de personnes qui veulent mon bien, qui me donnent des conseils et du soutien quand j’en ai besoin. Auparavant je n’avais pas cela.
C’est un peu ça la collaboration avec l’association Avec Toits.

Nous voilà au terme de cet entretien, quel appel avez-vous à lancer à ceux qui ne comprennent pas les défis auxquels les migrants sont confrontés ?

Je dis souvent qu’il faut que les gens se mettent à la place des autres pour pouvoir comprendre ce qu’ils subissent. Le message que je passe est plein d’amertume et d’angoisse.
Je demande aux autorités françaises de se mettre à notre place pour comprendre comment on vit. D’ouvrir les yeux sur ce qu’on fuit dans nos pays respectifs pour voir ce qui se passe avant de pouvoir prendre certaines décisions.

Je vous remercie d’avoir répondu à mes questions et bonne chance pour la suite !

*Pour des raisons de confidentialité, les données personnelles ont été modifiées.

Houssainatou Sow